Monsieur Philippe Barbey a soutenu en 2001 une thèse de diplôme de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
intitulée Les Témoins de Jéhovah - La survivance du christianisme antitrinitaire : Une résistance spirituelle pour la foi en un Dieu unique.
Voici un court extrait des pages non publiées de cette thèse, mais à la manière d’un Commissaire aux Comptes qui aurait à juger de la régularité et la sincérité des comptes d’une entreprise,
et utilisera la méthode des sondages pour former son opinion, ce simple échantillon [1] nous
convaincra que Philippe Barbey ne fait que reprendre la thèse officielle des Témoins de Jéhovah et occulte, sciemment ou non, toute opinion contraire.
Sources : Les Témoins de Jéhovah - sociologie et histoire - Philippe Barbey
Quant à l’affirmation selon laquelle « les Témoins de Jéhovah sont (…) un rameau du mouvement des Etudiants de la Bible », elle n’est pas exacte. En effet, les Témoins de Jéhovah sont
toujours Etudiants de la Bible, ils n’en sont pas un rameau. Ils changèrent tout simplement de nom en 1931 pour insister davantage sur leur monothéisme jéhovéen rejetant définitivement la
Trinité. Les Témoins de Jéhovah de 2001 sont les Etudiants de la Bible de 1870. Même si leur mouvement a évolué sociologiquement,
leur corpus théologique est fondamentalement le même.
Vous l’avez noté : Monsieur Philippe Barbey affirme avec force que les Témoins de Jéhovah de 2001 sont du point de vue du «corpus théologique» les Etudiants de la Bible de 1870. Est-ce la
vérité ?
Quel était donc le «corpus théologique» des Etudiants de la Bible en 1870 ?
Comparons les enseignements entre les deux époques sous trois angles :
1. La direction de
l’œuvre
2. L’espérance
accordée aux chrétiens
3. La chronologie des
temps de la fin
1. La direction de l’œuvre
Dans les années 1870 et jusqu’à la mort de C.T. Russell, les Etudiants de la Bible ne reconnaissent que la direction d’un homme, leur Pasteur, l’omniprésent et incontesté C.T. Russell.
A la question qui est l’esclave fidèle et avisé établi sur le troupeau, la Tour de Garde du 1er mars 1923 en anglais (p. 68) répond clairement
: "Souvent interrogé quant à savoir qui était l’esclave fidèle et avisé, Frère Russell répondait : « Certains disent que je le suis,
d’autres que c’est la Société ». Les deux positions étaient vraies ; car Frère Russell était en fait la Société dans son sens le plus absolu, en ce sens qu’il dirigeait la politique et la
course de la Société sans considération pour quiconque sur la Terre. Il chercha quelque fois l’avis de certains qui étaient en lien avec la Société, écoutant leurs suggestions et faisait
selon son propre jugement, pensant que le Seigneur lui avait dit de faire ainsi."
En 2001, la révolution de 1975 portant sur l’émergence véritable d’un corps gouvernant qui tienne vraiment sa place s’est faite dans le trouble et la douleur selon le témoignage oculaire de
Raymond Franz, membre du Collège Central à cette époque (cf. son livre Crisis of conscience [2] ch. 4). Nous sommes vingt-cinq ans plus tard.
Et la personne du chef omnipotent n’est plus, elle est morte avec feu Frederick Franz (1977), quatrième Président de la WT son oncle. La fin d’année 1975 a consacré l’apparition de différents
comités s’occupant de l’œuvre mondiale.
Extrait de la Tour de Garde 15 mai 1995 p. 22 :
«Durant de nombreuses années, le Collège central des Témoins de Jéhovah a correspondu au conseil d’administration de la Watch Tower Bible and
Tract Society of Pennsylvania, dont le président gérait l’essentiel des activités. Comme l’explique l’Annuaire des Témoins de Jéhovah 1977 (pages 258-60), en 1976, le Collège central a été
constitué en six comités, chaque comité s’occupant de domaines précis de l’activité mondiale.»
Faites un test : demandez au TJ lambda qui est le Président de la Watchtower. Il ne le saura probablement pas, car l’homme unique, le Président, a perdu son importance.
A votre avis la direction de l’œuvre est-elle identique dans son mode de fonctionnement entre 1870 et 2001 ?
Pas le moins du monde, car une révolution est passée par là. La notion essentielle qu’est l’identité de l’esclave fidèle et avisé (Mat 24 :45-47) n’est absolument plus la même, elle est
passée d’un individu à une classe toute virtuelle.
Pour preuve cet extrait de la Tour de Garde du 15 mars 1998 p. 20-21 § 10-11 :
«Le principe de l’autorité a pour but de préserver l’unité et de permettre que “tout se fasse décemment et avec ordre”. (1 Corinthiens 14:40).
Pour que cet objectif soit atteint, au Ier siècle, un certain nombre de chrétiens oints faisant partie de la classe de l’esclave fidèle et avisé ont été choisis pour représenter l’ensemble du
groupe. (…) Actuellement, le Collège central des Témoins de Jéhovah se compose de dix chrétiens oints, tous ayant à leur actif des dizaines d’années d’expérience dans le service chrétien. Ils
assurent la direction spirituelle des Témoins de Jéhovah, comme le faisait le collège central du Ier siècle (Actes 16:4). Tout comme les chrétiens de cette époque, les Témoins de Jéhovah sont
aujourd’hui heureux de recevoir des frères mûrs qui composent le Collège central la direction et des conseils fondés sur les Écritures dans le domaine du culte. Bien que les membres du
Collège central soient des esclaves de Jéhovah et de Christ comme le sont leurs compagnons chrétiens, la Bible nous fait cette recommandation : “Obéissez à ceux qui vous dirigent et soyez
soumis, car ils veillent constamment sur vos âmes, en hommes qui rendront compte ; pour qu’ils le fassent avec joie et non en soupirant, car cela vous serait préjudiciable.” - Hébreux
13:17.»
D’autre part, bien plus qu’une question de nombre ou de collégialité c’est un changement de forme de leadership qu’il convient de noter.
Russell agissait comme l’initiateur exalté de groupes d’étudiants de la Bible sans organisation formelle et donc sans moyen, ni même de volonté, de formater la conscience des personnes
intéressées.
Le temps et les personnes (J. Rutherford, N. KnorrKnorr - 1905-1977 3ème Président de la Watchtower Bible and
Tract Society). Il fut l’organisateur du mouvement et lui appliqua les méthodes de gestion d’une véritable entreprise (F. Franz) ont institutionalisé le mouvement lui appliquant une
construction toute entrepreneuriale (hiérarchie descendante jusqu’au proclamateur et surveillance permanente par le sommet).
Ainsi unifiée la congrégation jéhoviste devint plus malléable et contrôlable, c’en était fini l’époque de la liberté de conscience individuelle. Vint l’époque des directives théocratiques
assénées d’en haut : refus des transfusions sanguines (aux alentours de 1940), exclusion des récalcitrants, arme absolue inconnue au temps de C. T. Russell,… [3]
2. L’espérance accordée aux chrétiens
Si vous aviez demandé à un Etudiant de la Bible de 1870 quelle était son espérance, il vous aurait répondu : être aux cieux à côté du Seigneur. A cette époque reculée seule l’espérance
d’aller aux cieux faisait partie intégrante du « corpus théologique ».
Posez la même question à un Témoin de Jéhovah pris au hasard, il vous répondra : vivre éternellement sur la Terre sous la direction d’un royaume céleste. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Extrait de la Tour de Garde du 1er février 1995 p.14,15 :
"Le 31 mai 1935, les assistants à l’assemblée des Témoins de Jéhovah tenue à Washington ont éprouvé une grande joie. C’est là que, pour la
première fois, la grande multitude (ou grande foule) de Révélation 7:9 a été clairement identifiée en accord avec la Bible dans son entier et avec des événements qui avaient déjà commencé à
se produire. Environ six semaines auparavant, lors de la célébration du Repas du Seigneur dans les congrégations des Témoins de Jéhovah, 10 681 assistants (à peu près 1 sur 6) n’avaient pas
pris le pain et le vin emblématiques ; or 3 688 d’entre eux étaient des prédicateurs du Royaume de Dieu. Pourquoi s’étaient-ils abstenus de prendre ces emblèmes ? Parce que, selon ce qu’ils
avaient appris dans la Bible, ils comprenaient que Dieu ne les avait pas appelés à la vie céleste, mais qu’ils bénéficieraient des dispositions bienveillantes de Jéhovah d’une autre
façon."
Cette compréhension nouvelle vous semble t’elle un changement anodin ? Non, l’espérance actuelle du Témoin de Jéhovah est très différente de celle de l’Etudiant de la Bible, fondamentalement
différente, essentiellement différente.
3. La chronologie des temps de la fin
Cette fois encore, si vous pouviez interroger un Etudiant de la Bible de 1870 sur sa perception de la chronologie des temps de la fin, il vous aurait lancé avec une belle assurance : Christ
est déjà venu en 1874, nous attendons sa glorieuse manifestation.
Pour preuve la Tour de Garde du 15 juin 1922 p.187 (anglais) [4] :
« C’est sur la base de tant et tant de correspondances - en accord avec les lois les plus saines de la science - que nous affirmons que
scripturairement, scientifiquement et historiquement, la chronologie de la vérité présente est correcte et hors de tout doute. Sa certitude a été confirmée par les dates et événements de 1874
(…) La chronologie de la vérité présente est la base certaine sur laquelle les enfants consacrés de Dieu sont encouragés à rechercher les choses à venir. »
Et la Tour de Garde du 1er janvier 1924 p. 5 (anglais) [5] :
« Certainement, il n’y a pas le moindre espace pour qu’un doute s’installe dans l’esprit d’un véritable enfant consacré de Dieu que le Seigneur
Jésus est présent, et cela depuis 1874. »
Pour l’Etudiant de la Bible de 1870, et même d’après, il y avait l’année marquée 1874, et à partir de là les années pendant lesquelles Dieu jouerait les prolongations.
Mais demandez à présent ce qu’il pense de la chronologie des temps de la fin à un Témoin de Jéhovah.
Il vous répondra que nous sommes aux temps de la fin, et cela depuis 1914 (héritage russelliste non encore tombé), mais pour combien de temps encore, il n’en sait rien mais c’est proche, très
proche. Songez bien que pour l’Etudiant de la Bible de 1870 la venue de Jésus n’était même pas associée à 1914 et qu’il pensait bien, dans l’intervalle de sa propre génération, rejoindre Son
Seigneur dans les cieux.
Faisons le point avec une simple illustration que tous les voyageurs comprendront. Si vous aviez réservé un voyage à l’étranger et que l’on vous annonce ex abrupto que la direction vous
propose le même voyage mais avec de légères variantes, que le responsable unique, libéral et un peu fantasque, de l’expédition a été remplacé pour des raisons d’efficacité par une tribu de
garde-chiourmes , que le but de votre voyage a été modifié et que la durée de celui-ci n’est plus la même non plus, diriez-vous, pour votre part, que c’est le même voyage ? Non, vous
évoqueriez la modification substantielle de contrat, vous demanderiez le remboursement et vous auriez raison.
Prétendre que les Témoins de Jéhovah de 2001 sont les Etudiants de la Bible de 1870 est scandaleusement faux.
Faites donc entrer un Etudiant de la Bible dans une salle de réunion des Témoins de Jéhovah, et demandez-lui de présenter un discours public pour défendre sa foi.
Le visualisez-vous en train de parler de la présence invisible de Jésus en 1874, d’évoquer le moment délicieux où tous les chrétiens de l’auditoire seront réunis dans les cieux avec le
Seigneur ?
Puis, voyez, il se met à parler de l’importance des mesures en pieds de la Grande Pyramide de Kheops, essentielles pour deviner le calendrier et le plan divins (Russell y a cru dur comme fer
pendant 35 ans).
L’auditoire ne l’a pas encore remarqué mais notre orateur porte distinctement, au revers de sa veste, une croix surmontée d’une couronne, symbole du martyr du Christ (la croix ne sera
abandonnée qu’en 1928).
Dans ses paroles de conclusion (dans la vraie vie, il n’aurait pas eu la parole aussi longtemps) notre orateur lance à tout l’auditoire, nous sommes fin décembre, un tonitruant « Joyeux Noël
» (célébré au Béthel jusqu’en 1926) et leur signale qu’aujourd’hui c’est précisément son anniversaire de naissance (célébration également abandonnée vers la fin des années 20). Il ne comprend
pas, en descendant de l’estrade, pourquoi personne ne l’applaudit, personne ne lui souhaite un joyeux Noël et un bon anniversaire…
Le coup de grâce pour lui, comme pour ses auditeurs.
Il n’est pas certain du tout que notre orateur soit le bienvenu pour un prochain discours public. Bien au contraire, les anciens, au fond de la salle, sont déjà en train de s’organiser pour
étudier ce cas fort intéressant et exotique d’apostasie notoire.
A la question posée : les Témoins de Jéhovah de 2001 sont-ils les Etudiants de la Bible de 1870 ? vous pouvez à présent donner vous-même la réponse.
Non, définitivement non.
N’en déplaise à monsieur Barbey qui se présente nanti du titre de sociologue, d’universitaire, de scientifique son affirmation ne survit pas à une recherche approfondie et contradictoire.
C’est comme si le Commissaire aux comptes, que nous avions évoqué au début de notre article, avait trouvé dans la comptabilité qu’il doit vérifier une caisse créditrice ; c’est, il le sait
bien en homme de l’art, aux yeux du fisc le rejet de comptabilité et la mauvaise foi présumée.
Pour apporter plus de crédit à cette critique, je l’avoue, partiale mais juste et argumentée de l’œuvre de monsieur Barbey, voici ce qu’à dit de son livre directement issu de sa thèse « Les
Témoins de Jéhovah. Pour un christianisme original. (Paris, L’Harmattan, 2003) », le sociologue Arnaud Blanchard du Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité (CNRS/EPHE) :
"L’ouvrage aborde le mouvement des Témoins de Jéhovah sous un angle historique (en l’inscrivant dans la lignée des groupes antitrinitaires) et descriptif, en présentant notamment leur
organisation et leur situation dans plusieurs pays européens. Le livre apporte peu d’éléments nouveaux sur le mouvement de la Tour de Garde et souffre d’insuffisances de style notables, telle
la surabondance de citations non référencées. En outre, la démarche globale du document est ambiguë dans la mesure où - à défaut d’avoir construit sociologiquement son objet
- l’auteur ne manifeste pas de distance critique à l’égard des croyances et des argumentaires énoncés par le groupe étudié. À de
multiples reprises, il reproduit et avalise sans examen les propositions (théologiques en particulier) des Témoins de Jéhovah de telle manière que l’analyse est éclipsée par le travail de persuasion." Sources.
Heureusement que monsieur Barbey est un scientifique ayant jeté son dévolu sur la sociologie. Je frémis à l’idée de le savoir intéressé par l’astronautique et en charge de la prochaine
mission humaine vers Mars. Il serait fort à craindre que l’équipage aille se perdre dans les profondeurs glacées de l’espace, quelque part entre Saturne et Neptune.