YHWH ET NOUVEAU TESTAMENT : DE NOM, NON !

Chapitre II

Comme nous l’avons vu dans la chapitre précédent, les manuscrits du Nouveau Testament ne font jamais apparaitre un nom propre pour Dieu, ni le Tétragramme, ni une translittération quelconque, comme la forme Iaô, Yahweh, ou même Jéhovah. Nous allons voir comment les TdJ tentent de justifier le fait que, malgré ce que disent les manuscrits, le Nom “Jéhovah” ait fait son apparition dans “leur NT à eux”.

L’explication de leur choix par les TdJ tient en deux types d’arguments : le premier argument est purement dogmatique, et nous ne pourrons par définition pas nous y intéresser, car il n’y a à peu près rien à en dire.

 

L’argument dogmatique :

Pour l’exposer rapidement, les TdJ estiment qu’ils sont “dans la Vérité”, ils sont les uniques “vrais” chrétiens ; par conséquent ils affirment que leur croyance est parfaitement fidèle à celle du Christ, la seule, la vraie, l’authentique. Et, par un “subtil” retournement des propositions, en concluent que, puisqu’eux-mêmes affirment la nécessité d’employer le Nom “Jéhovah” dans le culte, Jésus n’a pu lui aussi qu’enseigner et pratiquer la même chose.

 

Le fait qu’il ne reste aucune preuve objective de cet emploi du Nom divin par le Christ ou ses disciples ne change rien au problème : c’est une profession de foi. Ils ne peuvent imaginer qu’il en aille autrement.

Par exemple, un argument qui revient très souvent chez eux concerne la lecture que Jésus fit du rouleau d’Ésaïe à la synagogue de Nazareth (Lc 4.16ss). Les TdJ affirment que Jésus, puisqu’il a lu un passage de l’AT où apparaissait le Tétragramme (יהוה), a nécessairement prononcé le Nom divin lorsqu’il l’a rencontré dans le texte. Cette affirmation est parfaitement gratuite. Le fait est que dès cette époque, les Juifs qui trouvent יהוה dans le texte ont coutume de lire “Adonaï Elhoïm” (c’est-à-dire Seigneur Dieu) dans ce passage.

 

Comment les TdJ savent-ils précisément comment Jésus a prononcé יהוהlorsqu’il l’a trouvé dans le texte ? Évidemment, ils ne le “savent” pas, ils ne peuvent que l’affirmer, de la plus conjecturale des façons. On est dans une affirmation parfaitement circulaire. « Puisque Jésus a dénoncé les “traditions” des Juifs, c’est que la tradition de ne pas prononcer le Tétragramme ne lui convenait pas » prêchent les TdJ pour justifier leur affirmation. Mais Jésus, dans les Évangiles ne fait jamais la moindre allusion à cette tradition-là, lui qui ne s’économise pourtant guère pour en dénoncer bien d’autres (le nettoyage rituel des mains, les biens du fils voués à Dieu, le divorce, la pratique formaliste du sabbat, etc., etc.).

 

Le fait est que Jésus n’a rien dit de cette tradition (et du reste personne ne lui reproche jamais non plus de ne pas s’y plier, contrairement à son refus des ablutions rituelles, ou sa pratique très large du sabbat, par exemple). C’est donc parce que les TdJ affirment que cette tradition est nuisible, qu’ils affirment que Jésus n’a pas pu s’y plier.

La croyance des TdJ sur la pratique de Jésus en la matière, sur laquelle le NT est parfaitement muet (et pour cause…) n’est donc légitimée que par la croyance des mêmes TdJ au sujet de la nécessité d’employer le Nom divin. Et la conclusion qu’ils tirent sur cet emploi du Nom divin par Jésus leur confirme qu’on doit bien employer le Nom divin.

 

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Les TdJ définissent la pratique du Christ en fonction de ce qu’ils croient, puis affirment suivre la pratique du Christ.

Comme nous le disions, il n’y a pas grand chose à redire là-dessus, sinon qu’avec ce type de raisonnement, on peut justifier à peu près tout et n’importe quoi : « Je crois que Raël est bien l’envoyé des extra-terrestres comme il l’affirme lui-même ? » Et pourquoi croire ce que dit Raël ? « Et bien parce qu’il est l’envoyé des extra-terrestres bien sûr, et qu’en cette qualité, ce qu’il dit ne peut qu’être vrai… »

Vous pouvez essayer chez vous, ça marche avec n’importe quoi !

 

L’argument “objectif”

Évidemment, les TdJ tentent aussi de présenter autre chose que ce seul argument circulaire. Ils prétendent aussi présenter des preuves objectives de leur théorie.

Ce deuxième argument est donc beaucoup plus intéressant pour nous, puisqu’on se recentre sur des faits, vérifiables.

 

Pour aborder ce chapitre, il sera peut-être nécessaire pour certains de rappeler un autre point. Le NT étant rédigé en grec, qui était la langue commune du Proche-Orient depuis les conquêtes d’Alexandre le Grand, lorsque ses rédacteurs se référèrent à l’AT (qui, rappelons-le encore une fois, fut écrit en hébreu), ils ne “s’amusèrent” pas à traduire eux-même en grec chaque verset qu’ils voulaient citer, au cas par cas.

 

À l’époque de la rédaction du NT, il existe déjà une traduction en langue grecque de l’AT qui est disponible (autant qu’un livre puisse l’être à l’époque bien sûr). En fait il existait même, semble-t-il, plusieurs traductions différentes de la Bible, en grec, un peu comme à notre époque il en existe plusieurs traductions en Français (toute proportion gardée, bien entendu : les époques sont très différentes…). Mais la plus célèbre de ces traductions grecques, et celle qui est le plus massivement utilisée par les rédacteurs du NT, est la version dite des “Septante” (souvent désignée sous sa forme abrégée : LXX).

 

L’argument de départ avancé par les TdJ pour justifier leur refus de traduire avec exactitude le texte grec du NT tel qu’il est, tient à une théorie qu’ils formulent sur le corpus de la LXX (qui est donc un texte de l’AT).

L’immense majorité des manuscrits de la LXX qui nous sont parvenus ne contiennent pas le Nom divin, eux non plus. Dans ces manuscrits, chaque fois que le texte hébreu contient le Nom יהוה celui-ci est souvent rendu par le mot grec “kurios” (Seigneur), parfois par “théos”.

 

Toutefois, cette pratique n’est pas totalement généralisée. On a aussi trouvé d’autres manuscrits de la LXX qui montrent un tout autre choix de “traduction”. Il est peut-être un peu difficile pour un “moderne” (c’est-à-dire après Gutenberg) de réaliser qu’à cette époque, deux éditions d’un même “livre” peuvent très bien être différentes entre elles, et ne pas présenter le même texte. Mais c’est pourtant une donnée essentielle à avoir à l’esprit pour comprendre un peu les difficultés textuelles que posent les textes de l’Antiquité.

 

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Un exemple de ces manuscrits grecs qui font apparaitre en hébreu le Nom divin.

Les Témoins de Jéhovah, ignorant volontairement tout le travail d’études mené sur la Septante depuis plusieurs décennies, ont donc décrété, sur la base de ces quelques manuscrits anciens que “LA” Septante (considérée très naïvement comme un texte unique et “standardisé”) contenait à l’origine le Nom divin, et que ce n’est qu’après le début du christianisme que ce nom disparut de la LXX.

 

Le point fort de cette théorie, c’est qu’un certain nombre des manuscrits de la LXX qui font effectivement apparaitre ce Nom se trouve faire partie des plus anciens dont on dispose :

Étude perspicace des Écritures”, article “Jéhovah”, vol.1, page 1250 :

« Il est vrai que les copies manuscrites de la Septante les plus complètes connues aujourd’hui substituent systématiquement les mots grecs Kurios (Seigneur) ou Théos (Dieu) au Tétragramme. Mais ces manuscrits principaux ne remontent qu’aux IVe et Ve siècles de n. è. On a retrouvé des copies antérieures qui, bien que fragmentaires, prouvent que les copies les plus anciennes de la Septante portaient bien le nom divin.

L’une de ces copies est constituée des fragments d’un rouleau de papyrus d’une partie du Deutéronome, catalogués P. Fouad Inventaire 266 (PHOTO, vol. 1, p. 326). Le Tétragramme y figure régulièrement, en caractères hébreux carrés à chacune de ses occurrences dans le texte hébreu traduit. Ce papyrus est daté du Ier siècle av. n. è. par les spécialistes et a donc été écrit quatre ou cinq siècles avant les manuscrits mentionnés précédemment. »

 

Après en avoir souligné le point fort, on en remarquera tout de suite un des points faibles : contrairement à l’affirmation lapidaire ci-dessus, ces manuscrits anciens ne “prouvent” absolument pas que “ LES copies les plus anciennes de la Septante portaient bien le nom divin”, mais simplement que DES copies de la Septante appliquaient cette pratique. La nuance est de taille, et nous y reviendrons dans l’article suivant.

 

Les TdJ donnent, dans leur littérature, plusieurs exemples de ces manuscrits anciens de la LXX faisant apparaitre le Tétragramme (certains datés du tournant de l’ère chrétienne ou un peu plus tôt encore), et qui ne sont pas conformes au texte « classique » de la LXX (celui qui ne contient pas d’autre “nom” pour Dieu que Kurios).

 

L’argument des TdJ est donc relativement simple : puisque certains manuscrits parmi les plus anciens de la LXX contiennent le Tétragramme, c’est qu’il s’agit-là de la “version originale” de la LXX. Les textes postérieurs (ceux des grands codex onciaux, par exemple), dans lesquels ne figurent pas le Tétragramme, présentent donc une version “altérée” du texte de la LXX.

 

Jusqu’ici, nous ne parlons que de la LXX, donc de l’AT. Quel rapport avec le NT ? C’est que, partant de cette hypothèse sur la LXX, les TdJ peuvent parvenir à la conclusion souhaitée : le Nom était toujours connu et utilisé par les Juifs (et, partant, des chrétiens), à l’époque de la rédaction du NT, que ses rédacteurs trouvaient ce Nom dans les textes qu’ils consultaient, et qu’ils l’ont donc nécessairement eux-mêmes recopiés lorsqu’ils citaient la LXX. Le Nom divin s’est donc bien trouvé, à l’origine, dans le texte du NT. CQFD !

 

Cette affirmation est répétée moult fois dans la littérature jéhoviste, par exemple :

Appendice de la Traduction du Monde Nouveau, “1D-Le Nom divin dans les Écritures grecques chrétiennes”, page 1682 :

« Outre Matthieu, tous les autres rédacteurs des Écritures grecques chrétiennes ont également cité des versets tirés du texte hébreu ou de la Septante, des versets avec le nom divin. Par exemple, Pierre, en Ac 3:22, a cité Dt 18:15 où le Tétragramme paraît dans un fragment de papyrus de la Septante qu’on fait remonter au Ier siècle av. n. è. (Voir App. 1C § 1.) Disciple de Christ, Pierre utilisait le nom de Dieu, Jéhovah. Quand le discours de Pierre a été mis par écrit, on a employé ici le Tétragramme conformément à l’usage du Ier siècle av. n. è. et du Ier siècle de n. è. »

 

On notera de nouveau le raccourci opéré par les TdJ dans la formule utilisée (“conformément à l’usage”) : la pratique observée dans certains manuscrits devient, en l’espace de quelques lignes, l’usage généralisé de l’époque. Cette généralisation “à la louche” d’un certain usage comme étant “celui de l’époque” est, en effet, le seul et unique point de départ de la théorie jéhoviste.

 

Mais comment les TdJ parviennent-ils alors à justifier le fait que le Nom divin, puisqu’il est acquis pour eux qu’il apparaissait effectivement à l’origine dans le texte du NT, est aujourd’hui totalement absent de tous les témoins manuscrits de ce texte, y compris les plus anciens ? Ils expliquent très clairement que le texte grec du NT, tel qu’il nous est parvenu, n’est tout simplement pas authentique : il a subi une altération systématique et volontaire, pour en effacer toute trace du Nom divin.

Étude perspicace des Écritures”, article “Jéhovah”, vol.1, page 1255 :

Dans ce cas, pourquoi le nom est-il absent des manuscrits existants des Écritures grecques chrétiennes, appelées Nouveau Testament ? Apparemment parce qu’à l’époque où furent produites ces copies existantes (à partir du IIIe siècle de n. è.) le texte original des écrits des apôtres et des disciples avait subi des modifications. C’est pourquoi les copistes postérieurs remplacèrent sans aucun doute le nom divin sous la forme du Tétragramme par Kurios ou Théos (PHOTO, vol. 1, p. 324). Les faits indiquent précisément que c’est ce qui arriva dans des copies tardives de la Septante, traduction des Écritures hébraïques (Nous reviendrons, dans l’article suivant, sur l’affirmation de ce que “les faits indiquent” et constateront que les TdJ ont une définition très libre de ce qu’ils appellent des “faits”.).

 

Pour valider ses assertions, la Watchtower cite régulièrement le travail de deux chercheurs (la plupart du temps, ce sont les deux mêmes qui reviennent systématiquement) dont une partie des écrits (isolés toutefois des thèses générales de chacun de ces deux chercheurs) va dans le sens de la théorie jéhoviste : il s’agit du travail du professeur allemand P. Kahle et du professeur américain G. Howard. Le travail de ces deux chercheurs est désormais cité en boucle sur à peu près tous les blogs et sites apologétiques tenus par des TdJ. Les deux travaux cités en référence ont pour l’un plus de 50 ans et pour l’autre plus de 30 ans. Même si l’âge d’un article ne saurait être à lui seul un facteur de disqualification (ce n’est pas parce qu’un article est relativement ancien qu’il n’a plus aucune pertinence) ce point est tout de même loin d’être négligeable dans un domaine (l’étude des manuscrits anciens) qui connait un affinement permanent des connaissances. Du reste, nous verrons au chapitre suivant que le petit monde de la recherche a continué de chercher, que d’autres conclusions ont été depuis exposées, mais les TdJ, pour leur immense majorité, semblent l’ignorer parfaitement…

 

Nous pouvons donc résumer tout l’argument des TdJ en une seule phrase : “le texte originel du NT a été volontairement altéré par des copistes des premiers siècles, et ce sont des manuscrits de la LXX qui le prouvent.

Toutefois, parvenu à ce point de la discussion, il n’est peut-être pas inutile d’observer que les Témoins de Jéhovah font habilement “glisser” la question de ce qui est écrit noir sur blanc dans le Nouveau Testament, vers celle de ce qui aurait été écrit dans l’Ancien Testament de référence des rédacteurs du NT. On ne parle donc plus de ce qui est effectivement écrit dans le NT par ses rédacteurs, mais de ce qui aurait pu être lu par eux. Il faut bien noter, avant d’accepter d’analyser cette question, qu’on ne parle déjà plus du vrai problème : les TdJ ne s’intéressent plus à ce que nous disent les témoins directs, mais débattent seulement de témoins indirects, auxquels ils accordent plus d’importance.

 

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La stratégie de
l’écran de fumée ne doit pas nous faire perdre de vue la vraie nature du problème.
 

Et il faut encore garder à l’esprit, lorsque l’on traite de cette question, que si les TdJ font basculer ainsi la discussion des témoins textuels directs vers des témoins indirects, et surtout que si ils donnent contre toute logique une prééminence aux seconds, c’est uniquement parce que les premiers leur donnent tort sur toute la ligne ! Il ne leur est nécessaire de se référer aux témoins indirects que parce que leur exploitation doit faire l’objet d’un travail d’interprétation. Et on jouit évidemment de bien plus de liberté, pour faire jouer cette interprétation dans le sens souhaité, en choisissant de rester cantonné au domaine des hypothèses plutôt que de s’en tenir aux “vrais” témoins textuels du NT.

 

La rhétorique des TdJ consiste donc dans le déploiement d’un écran de fumée, qui n’a pour fonction que de brouiller un problème pourtant relativement simple.

 

Tout en gardant bien ceci à l’esprit, nous allons tout de même voir dans le chapitre suivant la grande fragilité de ce “point de départ” de la théorie jéhoviste. Mais nous constaterons par la suite que son “point d’arrivée” est beaucoup plus problématique encore.


Le 11 juin 2010 par Ivan K.

Source : http://www.tj-revelation.org