YHWH ET NOUVEAU TESTAMENT : DE NOM, NON !

Chapitre IV

Le chapitre précédent montrait que rien de tangible ne permet d’affirmer que le Nom divin apparaissait dans le texte de références des chrétiens du 1er siècle.

Mais nous allons maintenant voir que même s’il était avéré que le texte de la LXX cité par les rédacteurs du NT contenait bien le Tétragramme… ça ne changerait pas fondamentalement le problème !

 

En effet, les TdJ citent et récitent une petite liste de papyrus à l’appui de leur théorie (nous avons vu que cette liste ne peut pas être une preuve), mais semblent ne jamais remarquer que la pratique que nous montrent ces mêmes papyrus n’a rien à voir avec celle qui est la leur.

 

En effet, on commet une petite imprécision en disant que c’est le Nom divin qui a été ré-introduit dans ces papyrus : ce n’est pas le Nom divin, qui apparait, c’est le Tétragramme ! Et alors, me direz-vous ? Le Tétragramme, c’est bien le Nom divin, non ? Et bien : oui et non ! Il y a bien une vraie nuance entre les deux : le Tétragramme n’est pas le Nom, il est une écriture du Nom. D’aucuns penseront qu’il s’agit là de fendre les cheveux en quatre, mais nous allons voir que dans le cas précis qui nous occupe, on ne peut pas faire l’économie de cette nuance.

 

D’ailleurs le professeur Howard, le même qui est si souvent cité par la Watchtower et ses fidèles, tient, lui aussi, à bien avertir le lecteur de cette différence, dès l’introduction de son fameux article (publié dans Journal of Biblical Literature, vol. 96, 1977, N°1). Notons au passage que le professeur Howard n’a jamais eu la prétention que d’exposer une hypothèse, un scénario possible, avec des arguments dont nous avons vu précédemment qu’ils n’étaient pas suffisants pour établir des faits, et qu’ils ne rendaient pas compte de certains traits de la littérature de l’époque (chez Aristobule, par exemple, mais plus encore chez Philon, que nous avons cité). Mais outre le fait que les TdJ cite cette hypothèse comme si elle établissait des faits, ils oublient surtout que cette même hypothèse ne concerne la pratique jéhoviste que dans une certaine mesure, et justement sur un point qui est bien loin d’être essentiel selon l’idée qu’ils s’en font...

 

En effet avant même de présenter son hypothèse, le professeur Howard tient à avertir son lecteur, dans une note en bas de page :

« Pour éviter toute confusion, il faut préciser dès maintenant que nous traitons avant tout de la question du nom divin tel qu’il a été écrit dans les documents anciens, et non du ou des mots prononcés par le lecteur lorsqu’il rencontrait le nom divin dans le texte. Ce qui a été prononcé constitue une toute autre question, et bien que cette question soit conséquente dans un autre contexte, il n’en sera que rapidement question dans la discussion qui suit. » [C’est le professeur Howard qui souligne le mot « écrit »]

 

Comme vous le voyez, émettre une hypothèse sur ce qui était écrit dans la Septante ne nous renseigne pas sur la lecture qui était faite de ce texte.

Et dans le cas qui nous occupe, ce que les TdJ ne veulent pas remarquer, c’est que le Tétragramme n’est pas traduit dans les manuscrits de la LXX [1] : alors que nous sommes dans un texte grec le Tétragramme apparait en hébreu. Mieux encore : il apparait souvent en caractères paléo-hébreux, c’est -à-dire dans un alphabet qui est déjà archaïque à l’époque même de sa rédaction : il s’agit-là de caractères écrits dans un alphabet non seulement inconnu des lecteurs hellénisants auxquels s’adressait la LXX, mais même aussi devenu obsolète chez les hébraïsants.

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Un manuscrit en écriture hébraïque carrée qui écrit le Tétragramme en caractères archaïques, trouvé à Qumrân -11QPsaumes a. (Cliquez sur l’image pour agrandir.)

 

D’ailleurs, nous ouvrons ici une petite parenthèse, cette pratique de “laisser” le Nom inscrit en caractères paléo-hébreux n’est pas propre à la LXX. Même dans des textes hébreux, écrits en caractères “modernes” (dite “écriture carrée”), le Nom apparait en caractères archaïques [2]. Cette pratique n’est pas généralisée, mais elle montre que même dans le texte hébreu, on ne veut parfois pas actualiser le Tétragramme. Comment penser alors, si à l’écrit on tient à signifier à ce point la sacralité du Nom au point de ne pas vouloir le rendre comme le reste du texte, qu’il était par contre lu à l’oral comme n’importe quel autre mot ? Cet exemple ne concerne certes pas directement notre sujet, mais il nous montre que le Nom a déjà acquis son caractère ineffable dans la société juive, bien plus tôt que ce que la Watchtower veut le prêcher.

 

Pour en revenir à notre sujet (la LXX et ses transcriptions du Nom divin), nous pouvons dire des lecteurs grecs de cette époque qu’ils avaient exactement le même problème que nous en lisant leur “Bible” : ils ignoraient comment se prononçait ce « mot », qui n’était pas traduit, et pas même retranscrit dans leur alphabet ! En fait, il n’était même pas écrit dans le “bon sens” (puisque l’hébreu se lit de droite à gauche, à l’inverse du grec).

 

Ils étaient dans une situation comparable à la vôtre, lecteur francophone, qui rencontrez soudain 不能发音 dans cet article. Qu’est-il écrit ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Comment lit-on ce mot chinois ? Même si je vous dit que ce mot signifie tout simplement “imprononçable”, vous ne savez toujours pas lire ce mot ! Vous en connaissez maintenant le sens, mais vous ne savez pas le lire pour autant. Moi-même, qui ai pourtant rédigé cet article et y ai fait paraitre ce mot, je ne sais pas plus que vous le lire : je me suis contenté de le copier, sans être capable de le lire !

Vous comprenez certainement mieux, désormais, pourquoi on doit distinguer, dans le cas précis du Tétragramme, l’écriture du nom qu’elle signifie.

 

Les lecteurs de la LXX, même dans ses recensions palestiniennes, ne prononçaient manifestement pas le Nom de Dieu. Ils en connaissaient la “graphie sacrée”, le “dessin” du Nom en quelque sorte, il savaient que ce “dessin” représentait le Nom sacré de Dieu, mais ils ne pouvaient pas le lire.

 

L’usage que font ces manuscrits du Tétragramme, noté dans un alphabet inconnu des copistes et des lecteurs, nous indiquent donc une pratique à l’exact opposé de celle qui est prônée par les TdJ qui, pour leur part, oralisent ce Nom et l’utilisent à tout bout de champ : dans les manuscrits cités par la Watchtower, ce Nom n’avait manifestement pas du tout vocation à être “lu” ou prononcé par le lecteur, quand bien même il était écrit.

 

Ainsi, cette façon d’écrire, même si elle devait vraiment être aussi celle des premiers chrétiens (ce dont on rappelle qu’il n’existe pas la moindre preuve, les manuscrits disponibles démontrant tous le contraire…), ne soutiendrait donc même pas directement la théorie défendue par les TdJ.

Et n’allez pas penser qu’on cherche ici la “petite bête”. Le problème posé par la graphie du Tétragramme (hébreu) au milieu d’un texte grec est un fait historique, et un texte de l’Antiquité en témoigne.

 

En effet, dans une de ses lettres, Jérôme de Stridon (plus célèbre sous le nom de Saint-Jérôme) résume en quelques mots toute la difficulté que posait ce Tétragramme au lecteur hellénisant (la Watchtower cite d’ailleurs elle-même ce texte, sans apparemment se rendre compte ce que cela signifie quand on s’y arrête une minute…) :

« Le neuvième nom de Dieu, de quatre lettres, réputé ineffable, parce qu’il est écrit à l’aide des lettres iod, he, vav, he ; quelques-uns ne le comprenant pas, lorsqu’ils le trouvaient dans les livres grecs, le prononçaient Pipi, à cause de la ressemblance des lettres. »
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Saint Jérôme nous explique très simplement le problème des lecteurs de la LXX.

 

Eh oui, les lecteurs de la LXX dont parle ici Jérôme n’adoraient pas un dieu du nom de Jéhovah, mais un dieu qui s’appelait Pipi. Rencontrant les lettres hébraïques יהוה les lecteurs grecs les ont tout naturellement —serait-on tenter de dire— confondues avec les lettres grecques ΠΙΠΙ (Pi et iota, doublés, soit Pipi).

Évidemment, Jérôme est lui-même un véritable érudit, connaisseur de l’hébreu. Il sait donc bien, lui, ce que signifie le Tétragramme. Mais manifestement, ce n’est absolument pas le cas de nombre de chrétiens. Ce problème ne se pose d’ailleurs pas qu’à la lecture, et n’est pas la conséquence d’un manque de culture (d’ailleurs le seul fait de savoir lire est à cette époque le signe d’une éducation certaine) : on retrouve ce ΠΙΠΙ écrit dans quelques manuscrits, ce qui montre que même des copistes, qui appartenaient à une certaine élite, sont piégés par ces caractères hébreux au milieu d’un texte grec, et ils ne les comprenaient pas !

Pour ces personnes, les caractères hébreux… c’est de l’hébreu !

Qui ira encore dire que la pratique observée dans ces manuscrits correspond, de près ou de loin, à la façon jéhoviste d’utiliser le Nom divin ?

 

Nous sommes donc passés, pour en arriver là, d’une assertion impossible à démontrer —désolé pour le pléonasme— (qui nous affirme : “les manuscrits de la LXX utilisés par les rédacteurs du NT contenaient le Nom divin”) à une conclusion (“ donc les chrétiens du 1er siècle utilisaient et prononçaient le Nom divin”). Or, on ne peut déduire ceci de cela, sans effectuer un sacré raccourci rhétorique. C’est ce qu’on appelle un argument non sequitur

 

Avant de voir dans les chapitres suivants certains des problèmes qui découlent de la doctrine —pour certains insurmontables si ce n’est par une incroyable dissonance cognitive— nous nous proposerons de résumer ce que l’on a déjà analysé des arguments présentés par les TdJ :

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Un château de cartes réclame sans aucun doute une habileté certaine, ce peut être impressionnant… mais ça reste un château de cartes !
  • 1) AUCUN manuscrit du NT ne contient le Tétragramme. On ne trouve l’emploi du Nom divin nulle part dans le texte du NT, tel qu’il nous est parvenu.
  • 2) Les TdJ (du moins : ceux qui émettent la doctrine) le savent parfaitement, mais comme cela va à l’encontre de leur point de vue, ils choisissent d’ignorer volontairement ce qui est écrit dans ce texte qui nous est parvenu, au profit de manuscrits d’un autre texte, non pas ceux du NT, mais ceux de l’AT en grec. Les TdJ affirment que ces témoins textuels de l’AT grec nous renseigne mieux sur le NT que les manuscrits du NT. On glisse donc une première fois d’une question relativement simple (“ce qui est écrit dans le texte du NT en grec”) à une question beaucoup plus floue (“ce qu’auraient été les sources textuelles des rédacteurs du NT lorsqu’ils citaient l’AT”).
  • 3) Les TdJ présentent certains manuscrits de l’AT, en grec, qui font apparaitre le Tétragramme. Or, les TdJ sont incapables de fournir la moindre preuve tangible que ces manuscrits-là de l’AT aient un quelconque rapport avec le texte du NT. En effet ces manuscrits ne nous apprennent jamais que l’existence d’une certaine façon de faire, contemporaine des premiers chrétiens, mais il ne s’agit que d’un usage parmi d’autres.On “glisse” donc une deuxième fois : on passe du constat de faits matériels et vérifiables (l’existence de certains papyrus montrant l’usage du Tétragramme dans certaines recensions de la LXX autour du 1er siècle) à une affirmation gratuite (“ce sont ces éditions-là de la LXX qui servaient de source aux premiers chrétiens, et pas une autre”). Si tel était bien le cas, on devrait en toute logique retrouvé ce Tétragramme dans le texte du NT, ce qui n’est pas le cas. « Falsification par les copistes ! » nous dit-on. Admettons, mais…
  • 4) Mais, même après avoir accepté de suivre deux fois de suite les TdJ dans leurs “glissades” successives (qui ne servent jamais qu’à éviter d’avoir à “affronter” le texte du NT lui-même, qui, depuis le début, devrait être le seul qui nous occupe…), on ne parvient toujours pas à leur conclusion, à savoir que les premiers chrétiens faisaient du Nom divin un usage comparable à celui des TdJ aujourd’hui. En effet,le Nom divin est utilisé dans ces textes à l’état de Tétragramme hébreu, c’est-à-dire qu’il n’y a plus qu’une écriture, mystérieuse et sacrée du Nom, à ce point sacrée qu’il n’est absolument pas question de la traduire, ni même parfois de le transcrire dans un alphabet contemporain : on choisissait alors d’écrire ce Nom dans un état ancien, en caractères archaïques, comme pour ne pas toucher à sa seule forme écrite !

Mais, comme nous l’avons bien précisé, si nous en sommes là, ce n’est que parce que nous avons accepté de “jouer le jeu”, de suivre les TdJ dans leurs glissades successives.

Et même parvenu au bout de leurs glissades, on est encore obligé d’accepter, contre le bon sens, que le traitement très particulier, absolument unique, du Tétragramme hébreu au beau milieu d’un texte grec, ne signifie rien de spécial, et qu’il était employé et lu naturellement comme tous les autres mots. On se demande alors bien pourquoi le Nom n’était pas écrit tout simplement, en toutes lettres, dans la langue de la traduction, et avec les voyelles qui lui correspondent en grec…

Tant de glissades, de sophismes, de généralisations abusives, toutes ces démonstrations alambiquées pour essayer d’oublier et ne pas avoir à affronter ce fait tout simple : le Nom divin n’apparait pas dans le texte du NT.

Mais, comme on dit, “les faits sont têtus”.

Nous allons voir dans les deux dernières partie de cet article combien les affirmations des TdJ les enferment dans leur propre raisonnement, et à quelles inconséquences ils en sont réduits, pour avoir ainsi tenté d’éluder les faits.

Elles sont toutes significatives, mais celle que nous abordons dans le chapitre suivant constitue sans doute la contradiction la plus flagrante de toutes. En effet, nous démontrerons que les TdJ sont tout à fait capables, pour défendre cette doctrine qui nous intéresse aujourd’hui, de prêcher l’exact contraire de ce qu’ils affirment ailleurs avec la même assurance : les TdJ affirment une chose et son contraire, et toutes les deux sont pour eux aussi vraies et indiscutables l’une que l’autre. Un mystère qui n’est pas loin d’être presque aussi fort que celui de la Trinité, dont ils aiment tant se gausser.


Notes :

[1] Il y a toutefois, pour être vraiment exhaustif, UN manuscrit du Lévitique (4QLXXLevb), trouvé à Qumrân, qui rend le Nom divin en lettres grecques (et qui le rend par IAÔ). Néanmoins si cette exception est remarquable, elle n’en reste pas moins exceptionnelle… Et surtout nous verrons que les TdJ, même s’ils voulaient rester à tout prix accroché à ce témoin textuel unique au détriment de tous les autres, continuent d’être confrontés à des contradictions insurmontables.

[2] L’écriture en caractères paléo-hébreux est une pratique dont il est difficile de cerner les tenants et les aboutissants. Très tard, alors qu’il est depuis longtemps tombé en désuétude, on trouve des manuscrits entiers écrits avec cet alphabet. On peut penser qu’il s’agit là, pour certaines communautés, de signifier une certaine “résistance”, de marquer leur nationalisme en refusant l’alphabet carré, qui est araméen.


Le 11 juin 2010 par Ivan K.

Source : http://www.tj-revelation.org